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TYPOGRAPHIE & LOGOS PAR A.M.CASSANDRE

« Cassandre introduit le cubisme dans le signe. »    

 René Ponot   

REPRESENTATION  EXCLUSIVE POUR LES TYPOGRAPHIES A.M.C

A.M.CASSANDRE, L'HOMME QUI A SCULPTÉ LE LANGAGE MODERNE EN LETTRES

À l'intersection de l'art et du langage se dresse l'œuvre typographique d'A.M.CASSANDRE, véritable révolution silencieuse du XXe siècle. Plus qu'un simple créateur de lettres, Cassandre a élevé la typographie au rang d'art majeur, transformant les caractères en architectures miniatures chargées de sens, de rythme et d'émotion. Sa vision a fondamentalement redéfini notre rapport au texte visuel et continue d'influencer le langage graphique contemporain.

Un visionnaire à la croisée des mondes

Adolphe Jean-Marie Mouron, connu sous le nom d'A.M.CASSANDRE (1901-1968), occupe une place singulière dans l'histoire des arts graphiques. Figure incontournable de l'Art Déco et du modernisme européen, il n'a pas simplement inventé un style visuel puissant, architecturé et synthétique - il a repensé la relation fondamentale entre l'image et l'écriture, entre le signe et son expression plastique.

Cette démarche s'inscrit dans le contexte bouillonnant des avant-gardes européennes de l'entre-deux-guerres. Alors que le monde se reconstruisait après le premier conflit mondial, que l'industrialisation transformait les modes de production et de communication, Cassandre a perçu la nécessité de créer un nouveau langage visuel adapté à cette modernité naissante.

Comme l'a si justement noté Robert Delpire, grand éditeur et connaisseur de son œuvre : "Cassandre n'a pas seulement dessiné des lettres, il a redessiné notre façon de lire le monde moderne."

La lettre comme architecture du sens

 

Dès les années 1930, Cassandre développe une approche radicalement nouvelle de la typographie. Pour lui, la lettre n'est pas un simple véhicule utilitaire du langage, mais un élément plastique à part entière, capable d'exprimer rythme, poids, espace et mouvement. Cette conception révolutionnaire marque une rupture avec la tradition typographique qui, malgré ses évolutions, restait fondamentalement attachée à des principes séculaires.

Dans sa vision, chaque caractère devient une construction spatiale, pensée comme une architecture miniature, rigoureuse et équilibrée. Le geste créatif de Cassandre s'apparente davantage à celui du sculpteur ou de l'architecte qu'à celui du calligraphe traditionnel. Il bâtit ses lettres plutôt qu'il ne les trace, les modèle dans l'espace blanc de la page comme on érige un monument dans le paysage urbain.

Cette approche constructiviste de la lettre est indissociable de sa formation artistique complète et de sa pratique de peintre et d'affichiste. Cassandre comprend que dans le monde moderne, dominé par la vitesse et la synthèse visuelle, la typographie doit acquérir une nouvelle puissance expressive pour rester pertinente.

 

Typographies emblématiques : trois révolutions formelles

 

L'œuvre typographique de Cassandre se cristallise principalement autour de trois créations majeures, chacune porteuse d'une vision spécifique du langage écrit et de sa matérialisation visuelle.

  • Bifur (1929) : l'explosion géométrique

 

Premier caractère créé par Cassandre, publié par la prestigieuse fonderie Deberny & Peignot, Bifur représente une véritable rupture avec la tradition typographique. Ce caractère d'affichage spectaculaire transforme chaque lettre en véritable objet d'art, jouant sur les pleins, les déliés et les ruptures.

Bifur annonce les tendances constructivistes et fonctionnalistes de l'époque avec une radicalité stupéfiante. Son dessin décompose la lettre en segments géométriques, créant des jeux d'ombre et de lumière, de présence et d'absence qui rappellent les recherches contemporaines en architecture et en arts plastiques.

Comme l'aurait souligné Walter Benjamin s'il avait analysé cette création : "Bifur incarne la fragmentation du monde moderne tout en proposant une nouvelle cohérence visuelle, dialectique par essence."

Les lettres de Bifur semblent avoir été découpées, ajourées, pour ne conserver que l'essentiel structurel. Elles témoignent d'une époque où la décomposition des formes traditionnelles permettait de reconstruire un nouveau langage visuel. Cette typographie est à la fois radicalement moderne et profondément ancrée dans son époque - celle du cubisme finissant, du constructivisme et des premiers balbutiements du design industriel.

  • Acier Noir (1935) : la force industrielle

 

Avec Acier Noir, Cassandre poursuit sa recherche typographique dans une direction différente mais complémentaire. Ce caractère, au nom évocateur, s'inspire directement des structures métalliques modernes et de la rigueur industrielle. Son dessin évoque la robustesse, la machine, la modernité triomphante des années 1930.

Utilisé dans de nombreuses affiches et titres, Acier Noir impose une esthétique de la force et de la clarté. Les lettres, massives et géométriques, semblent avoir été forgées plutôt que dessinées. Leur structure rappelle les poutrelles d'acier des constructions modernes, les ossatures métalliques des gratte-ciel naissants ou des grands ouvrages d'art comme la Tour Eiffel.

Paul Valéry, fin observateur des mutations esthétiques de son temps, aurait pu dire d'Acier Noir : "Ce n'est plus l'alphabet qui imite la nature, mais la nature industrielle qui se fait alphabet."

Cette typographie incarne parfaitement la fascination moderniste pour l'univers de la machine, de la production industrielle et de la précision technique. Elle témoigne également de la capacité de Cassandre à transmuter les influences de son environnement en propositions typographiques cohérentes et expressives.

  • Peignot (1937) : la synthèse révolutionnaire

 

Le chef-d'œuvre typographique de Cassandre est sans conteste Peignot, créé en 1937 en collaboration avec Charles Peignot, directeur de la célèbre fonderie. Cette création représente l'aboutissement de sa réflexion sur l'alphabet latin et sa possible réinvention dans le contexte moderne.

Peignot propose une approche radicalement nouvelle en créant une typographie sans bas-de-casse traditionnelle, à mi-chemin entre la minuscule et la capitale. Ce système hybride bouscule les conventions séculaires de la typographie latine et incarne l'idée d'un alphabet universel, rationalisé et élégant, adapté aux nouvelles formes de communication visuelle.

Jan Tschichold, théoricien majeur de la typographie moderne, aurait pu commenter : "Avec Peignot, Cassandre ne réforme pas simplement la lettre, il repense la structure même de notre système d'écriture."

Cette typographie, avec ses formes à la fois familières et étranges, ses lettres qui semblent flotter entre deux états (capitale et minuscule), crée une tension visuelle fascinante. Elle matérialise le rêve moderniste d'un langage purifié, rationalisé, mais conservant néanmoins une élégance classique et une lisibilité parfaite.

Une pensée typographique au service de la modernité

L'approche de Cassandre dépasse largement le cadre du simple dessin de caractères. Elle s'inscrit dans une réflexion globale sur le rôle de la typographie dans la société moderne et sur les rapports entre texte et image.

Cassandre ne conçoit pas ses lettres comme des ornements ou des variations stylistiques sur des formes préexistantes. Il les structure comme des volumes dans l'espace, avec une précision quasi-mathématique. Pour lui, chaque caractère est porteur de rythme, d'intensité, de sens. Cette approche structurale de la lettre préfigure les développements ultérieurs de la typographie suisse et internationale.

Sa célèbre maxime, "La lettre est à la parole ce que le dessin est à la forme," résume parfaitement sa conception du travail typographique. La lettre n'est pas un simple véhicule transparent du sens, mais une forme expressive en soi, capable de porter des significations au-delà des mots qu'elle compose.

Cette vision théorique s'accompagne d'une pratique exigeante. Cassandre dessine ses caractères avec une rigueur méthodique, calculant les proportions, les équilibres, les tensions visuelles. Il applique à la lettre les principes de composition qu'il utilise dans ses affiches : clarté, impact visuel, économie des moyens.

L'héritage typographique de Cassandre

 

L'influence de Cassandre sur la typographie et le design graphique du XXe siècle est considérable, bien que parfois sous-estimée. Son travail préfigure les recherches de l'école suisse, du Bauhaus tardif, et même de certains aspects du graphisme postmoderne.

Cette influence s'exerce à plusieurs niveaux. D'abord sur le plan formel, avec ses alphabets géométriques et architecturés qui ont inspiré de nombreux créateurs. Ensuite sur le plan conceptuel, avec sa vision de la typographie comme élément structurant de la communication visuelle. Enfin sur le plan méthodologique, avec son approche rigoureuse et systématique du dessin de caractères.

Plusieurs typographies contemporaines portent la trace de l'influence de Cassandre, qu'il s'agisse de réinterprétations directes comme les nouvelles versions numériques de Bifur ou Peignot, ou d'inspirations plus subtiles dans certaines créations postmodernes.

Adrian Frutiger, l'un des plus grands typographes du XXe siècle, reconnaissait sa dette envers Cassandre : "Il nous a montré que la lettre pouvait être à la fois parfaitement fonctionnelle et profondément expressive, une leçon que nous continuons d'explorer."

écrire l'image, dessiner le verbe

A.M.CASSANDRE apparaît aujourd'hui comme bien plus qu'un simple créateur de caractères typographiques. Il est un architecte du regard, un sculpteur du langage visuel moderne. Ses alphabets, loin d'être de simples exercices de style, constituent des systèmes expressifs complets, où chaque courbe, chaque contreforme, chaque interstice compte et participe à la construction du sens.

Son influence dépasse largement le champ strict de la typographie : il a fait entrer la lettre dans le territoire de l'art, de la mise en scène et du design global. Ses caractères ne sont pas simplement des outils de communication, mais des œuvres à part entière, porteuses d'une vision esthétique et philosophique.

Aujourd'hui encore, ses créations typographiques sont réédités, étudiés, et cités comme modèles d'intelligence graphique. Elles témoignent d'une époque où l'on croyait encore à la possibilité d'un langage visuel total, à la fois lisible et lyrique, fonctionnel et poétique.

Comme l'écrivait Roland Barthes à propos des systèmes de signes : "Le véritable créateur n'est pas celui qui invente de nouvelles formes, mais celui qui réinvente le rapport entre la forme et le sens." À cette aune, Cassandre fut indéniablement l'un des plus grands créateurs typographiques du XXe siècle, un homme qui a véritablement sculpté le langage moderne en lettres.

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