DE DUBONNET A NETFLIX : Cassandre, pionnier du storytelling visuel
- ROLAND MOURON
- 26 juin
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 2 jours
Quand un apéritif préfigure les codes de Netflix
Et si la première série à succès n’était pas sur une plateforme de streaming, mais sur les murs de Paris, en 1932 ?
À travers sa célèbre trilogie d’affiches pour Dubonnet, le maître de l’affiche moderne A.M.Cassandre ne se contente pas de promouvoir un vin tonique. Il orchestre une narration graphique en trois actes, préfigurant les mécanismes narratifs qui régissent aujourd’hui l’économie de l’attention. Netflix, Amazon Prime, Disney+... tous appliquent aujourd’hui, souvent sans le savoir, les codes posés par Cassandre il y a plus de 90 ans.

L’intuition graphique d’un visionnaire
En trois visuels successifs publiés dans L’Illustration, Cassandre installe une tension dramatique digne d’un épisode pilote :
D’abord, l’interrogation : un personnage sombre s’assoit face à un verre.
Ensuite, l’expérimentation : il goûte, se colore peu à peu.
Enfin, la révélation : transformé, il savoure pleinement.
Cassandre pose là une structure en trois temps qui deviendra matrice : situation initiale, transformation, résolution. Une grammaire visuelle qui annonce, avec des décennies d’avance, la logique narrative des séries à suspense et des bandes-annonces calibrées.
L’économie narrative en un clin d’œil
Raconter vite, frapper fort
Face à la vitesse du regard urbain, Cassandre conçoit une narration synthétique. Chaque image condense une étape du récit : approche, action, transformation. C’est l’ancêtre des vignettes Netflix, qui résument en une fraction de seconde un genre, une ambiance, une promesse.

Le personnage-miroir
L’homme Dubonnet n’est ni une star, ni une caricature : il est tout un chacun. Ce spectateur-consommateur devient acteur de sa propre transformation. Aujourd’hui, les algorithmes de recommandation reprennent ce principe : "Parce que vous avez aimé...", suggérant que le prochain contenu nous fera évoluer.
La dramaturgie de la métamorphose
La couleur progresse dans le corps du personnage de Dubonnet, et au fur et a mesure ou il boit, comme une contamination visuelle du plaisir. Cette esthétique de la transformation est aujourd’hui présente partout : interfaces animées, barres de chargement, effets de transition.
Exemple : le générique de Stranger Things, où la typographie elle-même se déforme pour évoquer l’étrange. Cassandre était déjà là.
De l’affiche au teaser moderne
L’art de la promesse visuelle
La première image de la trilogie DUBONNET, est un véritable teaser. Que va-t-il se passer ? L’information est partielle, le suspense naît. C’est le cœur de la stratégie marketing des plateformes de streaming : distiller, suggérer, retenir.
des Séries comme Dark ou Westworld distillent leurs images, créant une tension narrative à travers la rétention d’information. Cassandre, déjà, pensait en "révélation progressive".

L’émotion géométrique
Cassandre n’a pas besoin de traits expressifs. Il traduit l’émotion par la posture, la couleur, la composition. Un langage universel que l’on retrouve aujourd’hui dans les interfaces numériques, où le rouge signale l’intensité, le bleu la distance, le jaune la comédie.
Cassandre, père de l’algorithme visuel
La personnalisation avant l’heure
Là où Cassandre proposait une progression universelle, Netflix la décline à l’infini. Pourtant, l’objectif reste inchangé : conduire le regard vers une action, construire un parcours narratif visuel adapté au spectateur.

Un temps publicitaire condensé
Cassandre invente un "temps court" : le récit ne dure que quelques secondes, mais produit un impact durable. C’est exactement la logique du binge-watching : gratifier rapidement, puis recommencer.
Une leçon d’avant-garde toujours actuelle
La trilogie Dubonnet, sous ses allures ludiques, constitue une révolution silencieuse. En réunissant graphisme, dramaturgie, psychologie du regard et efficacité narrative, Cassandre ouvre une voie que l’ère numérique n’a fait que prolonger.
Aujourd’hui encore, à chaque fois qu’une plateforme cherche à capter notre attention, elle rejoue inconsciemment la scène imaginée par Cassandre : une rencontre, une promesse, une transformation.
L’homme qui levait son verre continue d’évoluer, cette fois sur nos écrans connectés.
Références complémentaires :
Alain Weill, Cassandre, Éditions Denoël, 1985.
Roland Barthes, Rhétorique de l’image, in Communications, n°4, 1964.
Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, 1968.
Étienne Robial (dir.), Affiches et modernité, Éditions du Centre Pompidou, 1995.
📌 Pour aller plus loin :
Découvrez l’histoire complète de l'affiche Dubonnet dans notre galerie.
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