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CASSANDRE, ARCHITECTE DU REGARD: La géométrie comme Fondement de l'Affiche Moderne

  • Photo du rédacteur: ROLAND MOURON
    ROLAND MOURON
  • 2 juil.
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 3 jours

A.M.Cassandre ne dessinait pas à l’instinct. Formé à l’architecture, nourri de cubisme et influencé par la pensée du Bauhaus, il conçoit ses affiches comme des systèmes géométriques complets. Son œuvre, loin d’un lyrisme personnel, obéit à une logique impérieuse : construire pour communiquer. Derrière chaque image, un plan. Derrière chaque plan, une pensée.


I. La rigueur en héritage : d’Auguste Perret à l’affiche


Avant d’être affichiste, Cassandre fut un peintre formé à l’Académie Julian. Il y découvre l’architecture, qu’il considère plus tard comme l’art supérieur. Ce n’est pas un hasard si sa maison-atelier de Sèvres fut conçue par Auguste Perret, l’un des grands théoriciens de la structure apparente. Comme l’écrit ce dernier :

« L’architecture, c’est l’art de faire chanter les points d’appui. »


Cette expérience est fondatrice. Cassandre découvre que la beauté ne vient pas du décor mais de l’ossature. Dès lors, ses affiches deviennent des épures, construites à l’équerre, au compas, au rapporteur — un vocabulaire d’ingénieur en géométrie au service d’une vision plastique.


II. La méthode Cassandre : système, module, monumentalité


Une géométrie fonctionnelle


Dans un texte publié en 1926, Cassandre affirme que l’affiche ne peut être une œuvre lyrique ou expressive :

« L’affiche est un objet de série, destiné à remplir une fonction. »


Son approche est radicalement anti-individualiste, influencée par le cubisme et la pensée communautaire du Bauhaus. Il refuse le style comme signature, préférant la construction logique à la virtuosité graphique. Il écrit :

« Fidèle à ma méthode géométrique, ou plus exactement architecturale, je m’efforce d’assurer à mes affiches un “plancher des vaches” indéformable. »


À son dessinateur, il impose un module répété qui structure toute la composition. Il interdit la mise au carreau: la rigueur prime sur l’adaptation.


L’Intransigeant : le chef-d’œuvre du système


Affiche publicitaire de 1925 par A.M.Cassandre pour le journal L'Intransigeant. Composition géométrique représentant un profil stylisé d'homme à l'oreille surdimensionnée, traversé par des lignes télégraphiques convergentes. Typographie monumentale en capitales blanches sur fond de dégradés colorés. Exemple emblématique de l'approche architecturale et constructiviste de Cassandre dans l'art de l'affiche moderne.
L'INTRANSIGEANT 1925 A.M.CASSANDRE, « Il soumet son dessin à une construction mathématique […] comparable à une coupe architecturale. »

Affiche fondatrice, L’Intransigeant (1925) incarne cette pensée. Chaque ligne y est pensée, chaque tension calculée. Le cou allongé de la figure forme un vecteur dynamique, les fils télégraphiques convergent vers l’oreille, la bouche s’inscrit dans un cercle parfait, et la tête entière dans un carré.


 Diptyque présentant l'affiche L'Intransigeant de 1925 par A.M.Cassandre et son analyse géométrique. schéma analytique révélant la construction géométrique sous-jacente avec cercles, carrés, triangles et vecteurs directionnels superposés au dessin original. Démonstration de la méthode architecturale de Cassandre appliquée à l'art de l'affiche moderne.
Décomposition Géométrique de l'Intran

III. L’architecture du verbe : lettre et composition


Pour Cassandre, l’affiche commence toujours par le texte. Le mot précède le dessin. C’est la lettre qui, dans ses mots, “met en branle le mécanisme de la création mentale.”


Sa typographie, qu’il veut monumentale et lapidaire, s’inspire des inscriptions antiques. Il refuse les minuscules, considérées comme “déformations manuelles de la lettre monumentale.”

L’affiche devient ainsi un espace rythmé par le mot, comme une façade par ses ouvertures.


IV. Le rythme moderne : du bûcheron à la machine


Cassandre considère la publicité comme une fresque urbaine. Il veut rompre avec la petite affiche de trottoir. À ses yeux : “Le 80 x 120 n’est plus qu’une carte de visite.”


Affiche publicitaire par A.M. Cassandre pour le magasin Au Bûcheron. Composition géométrique représentant un bûcheron stylisé en action, hache levée, dans un style cubiste épuré. Figure masculine angulaire aux formes géométriques simplifiées, intégrée dans une composition triangulaire dynamique. Typographie sans-serif en capitales noires sur fond coloré. Exemple de l'approche constructiviste de Cassandre appliquée à la publicité commerciale, traduisant l'idée de force et de robustesse par la géométrie pure.
AU BUCHERON 1923 A.M.CASSANDRE

Avec des œuvres comme Le Bûcheron ou L’Étoile du Nord, il conçoit l’affiche comme un motif répétable, un “papier peint monumental” dont la répétition produit un rythme, une cadence urbaine.

Affiche publicitaire de 1927 par A.M.Cassandre pour la Compagnie des Wagons-Lits, service ferroviaire Étoile du Nord reliant Paris à Bruxelles et Amsterdam. Composition verticale dominée par une imposante locomotive stylisée vue de face, représentée par des formes géométriques monumentales en dégradés de bleu-noir et crème. Au sommet, une étoile blanche guide symboliquement vers le nord sur un ciel dégradé. Rails convergents en perspective créant un effet de profondeur dramatique. Typographie Art Déco en caractères sans-serif dorés et blancs, avec mentions "PULLMAN" et destinations européennes. Encadrement latéral répétant le nom de la compagnie. Synthèse magistrale entre puissance industrielle et élégance du voyage de luxe.
ETOILE DU NORD 1927 A.M.CASSANDRE

Le choix du sujet n’est jamais décoratif : il s’agit de traduire une fonction, une idée claire, avec la force de la ligne et la précision du trait.



V. Du calcul à l’icône : géométrie et intemporalité


Dans les années 1930, l’évolution stylistique s’accompagne d’un assouplissement. Mais jamais Cassandre ne renonce à son système. Même dans les compositions plus “sensuelles”, la géométrie sous-tend le dessin. À partir de L’Atlantique, Normandie, Dubonnet, Nicolas, il conjugue rigueur et humour, système et style.

« Il soumet tout à la géométrie, mais la géométrie ne se voit pas. Elle guide. » (Alain Weill)


VI. Conclusion : Le regard construit


L’affiche, pour Cassandre, n’est ni un tableau, ni une anecdote. C’est un édifice de signes, une construction mentale et graphique. Il met en œuvre une esthétique du dépouillement, une discipline de la ligne, une intelligence de la forme. Ce qu’il cherchait, c’était la clarté d’un ordre perçu par la foule, non l’expression d’un moi.

« Toujours plus sensible à la forme qu’à la couleur, à l’ordonnance qu’au détail […] je me trouve, en tant qu’affichiste, singulièrement à l’aise. » (A.M.Cassandre, 1926)


📚 Sources

  • Henri Mouron, Cassandre, Schirmer Mosel

  • Alain Weill, entretiens (extraits compilés, 1985-2023)

  • Analyse géométrique de L’Intransigeant, ATELIER Cassandre

  • Textes originaux d’A.M.Cassandre, Revue de l’Union de l’Affiche Française, 1926

  • Sylvia Colle-Lorant These sur Cassandre


📌 Pour aller plus loin :

✍️ Rédactionnel de cassandre.fr – reproduction interdite sans autorisation.

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