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A.M.CASSANDRE PAR ROLAND MOURON

A.M.C. EN HAUT DE L'AFFICHE - ACTE 2 (1935-1938)

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LA FORCE TRANQUILLE

 

Sacré « premier metteur en scène de la rue », Cassandre devient l’emblème d’une époque. Pour l’heure, le graphiste est à son apogée. Jouissant de revenus confortables, il vit entouré de créatures élégantes qui ressemblent à des déesses.

Les fins de mois difficiles de ses débuts ne sont plus qu’un lointain souvenir et son aura, lui vaut l’intérêt de l’un des fleurons industriels français. En 1935, la Compagnie Générale Transatlantique envisage de frapper un grand coup avec la construction du plus grand paquebot de tous les temps. Baptisé le Normandiele mastodonte d’acier, sitôt sorti des chantiers de Saint-Nazaire, attend son public. Le bâtiment ne se définit pas seulement par sa capacité d’accueil démesurée, mais aussi par sa rapidité, le raffinement de ses installations et la modernité de sa conception.

 

Mais comment synthétiser en une seule image, le confort d’un voyage luxueux, l’élégance d’un navire et l’esprit conquérant du nouveau géant des mers ? Cassandre a la solution : « il faut repenser l’échelle de l’objet par rapport à l'espace fictif qui le contraint : la surproportion. »

Une fois de plus, il parvient à fondre des valeurs graphiques et sémantiques peu compatibles et comme à l’accoutumée sa proposition transcende le message publicitaire. En représentant le bateau de face en contre-plongée, l’artiste emprunte là encore au langage cinématographique. Mais, en contenant son sujet dans un cadre serré pour exalter sa puissance et en miniaturisant les éléments de décor pour accentuer son gigantisme, l’homme de la rue se trouve immédiatement propulsé en pleine mer, à bord d’un navire à la pointe du progrès.

La forteresse flottante qui avance calmement mais sûrement en fendant les eaux pavillon tricolore sur le bastingage, résonne comme une réponse vigoureuse à la tempête qui ne va tarder à secouer la France.

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Au printemps 1936, un mouvement de grève né dans les usines s’est répandu dans tous les secteurs d’activité. Les ouvriers se sentent pousser des ailes. En quelques semaines le pays est paralysé. Aux Galeries Lafayette, les affiches publicitaires de Cassandre ont été remplacées par des pancartes qui réclament « le pain, la paix et la liberté », accrochées par les employés qui occupent leur lieu de travail au son de l’accordéon. Un déferlement de liesse envahit les rues de Paris. Tout juste élu, le Front Populaire ouvre une parenthèse d’espoir après les rigueurs et les privations de la crise économique. Mais Cassandre est à mille lieux de ces débordements. Sa réputation a traversé l’Atlantique ; au point que le MoMa, le prestigieux musée new-yorkais, a prévu de lui consacrer une exposition.

A 35 ans, il est le premier graphiste au monde a y être célébré de son vivant et cette gloire, il compte bien la savourer in situ. Orphelin de Moyrand, Cassandre rencontre Balthus en 1935, ce dernier deviendra un ami proche. " C'est la fréquentation de Balthus qui à redonné vie au démon de la peinture que la publicité avait endormi en lui" Lola Saalburg.

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LE REVE AMERICAIN

 

Art majeur, la peinture, contre Art mineur, la publicité, c'est aux Etats-Unis à New-York, qu'il reprend la peinture, avec acharnement, mais sans la moindre inspiration qu'aurait pu faire naître en lui l'étrange univers de Balthus, et donc sans succès, malgré une profonde admiration pour Poussin, les frères le Nain, Courbet et pour ses contemporains : Dunoyer de Segonzac et Derain.

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A bord du paquebot de tous les superlatifs qu’il a su si bien promouvoir, Cassandre s’embarque à destination du nouveau Monde. Après des semaines de voyage, l’Amérique pointe enfin le bout de son nez. A peine débarqué, le directeur de l’Agence Ayer lui déroule le tapis rouge. La légende prétend qu’il a été accueilli par son représentant avec un contrat en poche prêt à être signé. Quelques jours plus tard, c’est l’apothéose.

 

Au Musée d’art moderne, le Français est honoré au même titre que Malevitch, Van Gogh ou Picasso. On va même jusqu’à comparer l’attrait qu’exerce le personnage Dubonnet sur le public à l’engouement provoqué par Mickey Mouse ! Cette renommée lui permet d’intégrer le Gotha newyorkais. Il y rencontre Giorgio De Chirico, Salvador Dali ou encore le grand designer Raymond Loewy avant de retrouver une vieille connaissance : Alexey Brodovitch, l’ancien directeur artistique du magasin parisien Aux Trois Quartiers.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Giorgio De Chirico & Cassandre

 

Fervent admirateur des combinaisons d’images et de typographies qui ont fait le succès de Cassandre, Brodovitch désormais à la tête du magazine Harper's Bazaar, lui propose de lui offrir rien de moins que son emblème : sa couverture. Pour Cassandre, collaborer à cette institution de la mode devenue mythique est une opportunité en or. Non seulement sur le plan financier mais parce qu’elle lui offre la possibilité de donner un tournant à sa carrière. Jusqu’à là, le graphisme n’a été pour lui, qu’une activité alimentaire et il rêve de s’atteler à sa véritable passion : la peinture. 

De l’abstraction au réalisme social en passant par le régionalisme, l’Amérique d’alors connaît un intense foyer de création où il compte bien puiser son inspiration. Art majeur, la peinture, contre Art mineur, la publicité, il reprend la peinture avec acharnement, mais sans la moindre inspiration qu'aurait pu faire naître en lui l'étrange univers de Balthus, et donc sans succès, malgré une profonde admiration pour Poussin, les frères le Nain, Courbet et pour ses contemporains : Dunoyer de Segonzac et Derain. A son grand regret, si ses créations graphiques dénotent un génie certain, ses expériences picturales ne se sont pas révélées à la hauteur de ses espérances. La plupart de ses tableaux ont fini à la poubelle, victimes de son insatisfaction tandis que les plus abouties se sont révélées aussi sombres que son caractère.

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TOMBÉ D'UN NUAGE

 

Voguant de diner mondain en soirée festive, Cassandre multiplie les rencontres pour trouver un mentor qui sache guider ses coups de pinceau. Une recherche qui va rapidement se révéler vaine et faute de trouver son maître, il part chercher l’étincelle qui lui fait défaut dans la ville-monde qui s’offre à lui. Sur Broadway, music-halls, cinémas et salles de concert se partagent l’affiche.

Partout, d’immenses néons, réclames et pancartes tapissent les façades des buildings comme un papier peint géant. Impossible de les rater. Ce ne sont pas de simples publicités ; mais de véritables invitations à partager un mode de vie. Véritables allégories de la consommation de masse, on y vante le dernier poste TSF, le dernier appareil Kodak, la dernière voiture en vogue ou le paquet de cigarettes Lucky Strike, qui donne l’illusion à leurs heureux possesseurs d’une

richesse sans cesse renouvelée. Au fil de ses pérégrinations, Cassandre enregistre et synthétise. Humant l’air du temps, il s’imprègne de cet univers suggestif qui repose non pas sur les caractéristiques d’un produit, mais sur la construction d’une identité. C’est alors que le géant automobile Ford, lui propose de s’attacher ses services.

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Au carrefour de Time Square, les Ford T qui se ruent vers le coeur bouillant de Manhattan forment un ballet ahurissant. En à peine deux décennies la firme est devenue un mastodonte industriel. Symbole d’indépendance et de réussite, la voiture incarne à elle seule le rêve américain. En particulier, le modèle V8, jusque-là réservé aux véhicules de prestige que le constructeur vient d’adapter pour équiper un modèle de grande série. Pour promouvoir ce petit bijou de technologie, Cassandre a carte blanche. Le Français fait alors un pari risqué. Au lieu de représenter le véhicule, il choisit de mettre en scène le désir qu’il engendre chez le consommateur.

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Cette métaphore, incarnée par un oeil, est sublimée dans un très gros plan, en conjuguant figuration et surréalisme. Derrière l’iris apparaît un slogan qui induit le mouvement « Regardez la Ford passer », tandis que l’image de la voiture, imprimée sur la pupille suggère la fusion de l'esprit, du corps et de la technologie. « Une affiche est faite pour être VUE. Truisme sans doute, mais si elle ne possède pas avant tout cette vertu de visibilité, ses qualités ne lui serviront à rien. Cette visibilité dépend non d'un simple contraste de couleurs mais bien d'un rapport de valeurs, exalté par un choc des formes, un accident formel. » Toutefois, si cette nouvelle création révolutionne le monde de l’art graphique de l’époque, elle se heurte à un échec commercial cuisant. Trop avant-gardiste, cet oeil immense, dont Cassandre attendait qu’installé sur le bord des routes il produisît l’effet de surprise destiné à convaincre l’automobiliste de s’arrêter chez le premier concessionnaire Ford, est boudé par le public et le flop est retentissant.

 

Ébranlé par l’échec, usé par les diners mondains, il s’en retourne à Paris pour panser ses blessures et son expérience américaine se solde par une profonde déception. Mais l’Exposition Internationale des Arts et Techniques de 1937 arrive à point nommé pour regonfler son ego. Ses oeuvres y sont largement mises à l’honneur.

Le Normandie, son chef d’oeuvre, trône en majesté dans le pavillon français. Tout comme sa dernière création : le caractère Peignot célébré comme l’emblème de la création graphique française et qui figure sur le fronton flambant neuf du Palais de Chaillot construit pour l’occasion. 

La manifestation remporte un réel succès critique, mais sa nouvelle typographie s’avère un échec. Devant le refus des éditeurs de la commercialiser, le moral de l’artiste s’effondre. Désabusé, après des années au service de la publicité, Cassandre se sent trahi. Il constate qu’au final, son travail est considéré comme un simple outil de propagande au profit d’intérêts particuliers et se détache du secteur qui a fait de lui une vedette.

Amer, il écrit : « Si aujourd’hui j’ai peu à peu abandonné la publicité, c’est parce que j’étais ulcéré de cette constante confusion des valeurs. Et je renonce à ce que j’avais cru un moment, c’est-à-dire qu’on pouvait se servir des moyens grossiers de l’affiche pour atteindre les fibres les plus profondes du spectateur, le toucher dans sa vie sensible et affective, éveiller son intellectualité. C’était sans doute trop demander ».

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Pavillon de la Publicité de l'Exposition

Des Arts et Techniques à Paris, 1937

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Sur le plan personnel, la situation n’est pas plus réjouissante. Cassandre persiste à vivre sur un grand pied et l’argent commence cruellement à manquer. Il avoue : « Il faut hélas que je songe à assainir mes finances et payer l’ardoise de

mon passé. ». Ses difficultés financières commencent à déteindre sur sa vie conjugale. Peu à peu, ses crises de nerfs à répétition de plus en plus violentes conduisent sa femme à le quitter. En perte de repères, il se réfugie alors

totalement dans la peinture soutenu par son ami Balthus. Mais ses diverses tentatives ne reflètent en rien le caractère novateur qui imprégnaient ses précédents travaux. Il s’enferme dans son atelier, son environnement se transforme en champ de bataille où tous les essais qui ne trouvent pas grâce à ses yeux sont systématiquement détruits. Une obsession prémonitoire qui annonce bien d’autres combats. Car déjà, l’Allemagne redouble d’accents belliqueux, les rumeurs de guerre se font entendre : les jours de paix sont comptés. Et c’est la guerre début septembre 1939 ! N’ayant plus de domicile fixe ni de projet particulier, Cassandre s’engage dans l’armée : sans mettre son patriotisme en doute, c’est aussi pour lui un moyen de fuir son marasme quotidien.

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A.M.C. TRAGEDIE GRAPHIQUE - ACTE 3

 

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© ROLAND MOURON - AM.CASSANDRE

 

 

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